Le Cinéma de Raoul Ruiz
Combat d'amour en songe
Date de sortie : 22 Novembre 2000 2h 02min.
L'histoire a un fond véridique : au début du siècle, Ricardo Latcham, un jeune homme de 20 ans, simple employé de la Bibliothèque Nationale du Chili, est contacté par un chasseur de trésor. Ils voyagent ensemble jusqu'à Guyacan, dans le nord du pays. Là ils découvrent un trésor inattendu, non pas constitué d'or mais simplement d'écrits d'origine hébraïques, grecques, arabes, et touaregs retraçant l'histoire, la vie et les miracles des " frères de la Côte ", célèbres pirates ayant fondé une république anarchiste.
Les amateurs de ce type de littérature pourront aisément découvrir les références à H.C. Andersen (Le compagnon de voyage), au folklore portugais et chilien (La ville fantôme de Anlia, La ville des césars, La grotte des sorciers de la province Recta, La grotte de Salamanque), autant qu'à la tradition judaïque (Le nom secret, Les sept livres). Il y a aussi beaucoup d'inventions personnelle et un jeu d'enchaînements narratifs qui doit beaucoup aux Mille et une nuits, et plus d'une chose aux frères Grimm.
Mais où sommes-nous ?
Au beau milieu d'un beau film limite. Face à une énigme renouvelée, une nouvelle occurrence de ce cinéma que l'on pourrait qualifier d'inqualifiable, cette piste décalée sur laquelle viennent régulièrement danser les Monteiro, Oliveira et consorts (d'ailleurs produits, le plus souvent, par le même Paulo Branco qui finance ce Ruiz). Comme ceux-là, le cinéaste Ruiz a au moins deux faces. L'une à peu près orthodoxe, qui lui a valu ses plus grands succès publics (Généalogies d'un crime, le Temps retrouvé) et où Ruiz n'instille du dérapage et de la cocasserie que dans certaines limites. L'autre, que l'on fréquente au moins depuis l'Hypothèse du tableau volé, est plus proche de sa nature profonde: là, son cinéma bat librement la campagne, renverse les conventions et retourne les perspectives, balançant ses faisceaux lumineux et illuminés sur les terrains vagues maintenus dans l'ombre par les projecteurs de la narration dite classique.
Ces paysages de friche sont ceux où Ruiz connaît ses plus belles fièvres ésotériques et celle, furieuse, qui alimente Combat d'amour en songe, atteint une sorte de comble: tous habités par une mystique supérieure qui n'est pas forcément religieuse, les personnages du film ressassent, chacun à la fenêtre de sa propre baroque existence, des mystères qui les obsèdent, les dépassent, les possèdent. Jouets du Malin comme d'eux-mêmes, ils ne cessent de remettre sur le tapis de leur vie un impossible déchiffrage. Objets du cinéaste manipulateur, ils sont aussi les pauvres pions d'une partie sidérale où s'affrontent Mal et Bien, présent et histoire, légende et réalité, libre arbitre et destin.
Jamais pourtant ces gros mots ou ces grands thèmes ne transforment le film en prise de chou. Tout au contraire, dans Combat d'amour en songe mieux que jamais, Ruiz envisage la salle de cinéma comme un lit d'abandon, un centre d'hypnothérapie, un berceau des chimères où l'on doit accueillir le chaos déstructuré des images et des sons avec le même naturel qui nous fait avancer dans un rêve. Fût-il cauchemar.
Lorsque Ruiz, contrebandier en chef du cinéma farceur mais grave, revendique pour son art une puissance alchimiste, il ne faut pas le prendre à la légère: l'alchimie n'est pas ici une métaphore facile, une image commode pour refourguer de la poésie à bon compte. C'est non seulement une chose sérieuse mais aussi une pratique et surtout une expérience.
Combat d'amour en songe semble ainsi être l'exemple parfait de ce que pourrait être un cinéma encore en quête de sa définition. C'est comme si, par inadvertance, la caméra et le synopsis s'étaient trouvés entre les mains d'un enfant; ce dernier s'amuse d'abord avec les personnages, puis les fait voyager dans le temps; il change leur identité et situe leur motivation dans une logique qui nous est inconnue. La difficulté qu'entraîne un tel film, c'est qu'il y persiste un réel écart (ou ce que le philosophe Leibniz aurait proba- blement nommé une «incompossibilité») entre l'intention de l'auteur et l'appréhension du spectateur. Du moins cet écart persiste-t-il jusqu'au deuxième, troisième, voire jusqu'au 16e visionnement (à moins, comme le dit l'un des nombreux personnages du film, que le chiffre trois ne fasse loi!). Ce n'est, pour ainsi dire, que si l'on a la bonne volonté de ne pas voir ce film qu'une seule fois que l'on est en mesure d'entrevoir les clés du récit (ou des récits devrais-je dire). Car il y a bel et bien des solutions aux nombreuses énigmes posées par Combat d'amour en songe...
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des choses complètement quotidiennes qui deviennent énigmatiques.
Ciné-Bulles : Dans le cas de Com- bat d'amour en songe vous écri- viez la nuit et tourniez le jour.
Raoul Ruiz : Oui, mais je connais- sais bien les thèmes. Je travaillais la mécanique, je faisais venir les choses par combinatoire en créant des ponts entre des thèmes, au nombre de neuf, éloignés l'un de l'autre. Le film est à moitié dans le rêve mais quand même soumis à une combinatoire rigide, ce qui rappelle en musique le système sériel. Ce système permet d'ouvrir, mais il ne faut surtout pas le prendre d'une manière trop rigoureuse car cela risque de donner un résultat qui s'apparente à l'Oulipo. Le mécanisme finit alors par bouffer la matière et cela donne du vide. Au bout d'un moment, à force d'utiliser la combinatoire, c'est l'esprit des Mille et une nuits qui s'installe.
Cahiers du cinéma 551 2000
Combat d'amour en songe
Richou Pascal
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Fiches du Cinéma 1583
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Le Monde 2000
Combat d'amour en songe
Jean-Michel Frodon
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Les Inrockuptibles 266
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Libération 2000
Ruiz retrouvé
Olivier Seguret
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Positif 478 2000
Combat d'amour en songe
Guy Scarpetta
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Télérama 2654 2000
Une fantaisie baroque et en costumes signée Ruiz
Louis Guichard