Le Cinéma de Raoul Ruiz
Le Borgne
Extrait :
Dans Le Borgne, il s'agit d'un homme qui est dit mort, qui est désigné sous le nom de N., et qui se balade avec son corps insubstantiel, capable de voler.
Seulement, ce qui fait que ce Borgne n'est pas un Bardo-film comme les autres (c'est à dire un film sur une conscience qui tente de retourner à la vie NDLR.), c'est que le regard de N. y est continuellement identifié à l'objectif de la caméra.
Le film est donc entièrement fait, si l'on veut, avec le principe de la caméra dite "subjective", où des personnages parlent à cette caméra et la regardent comme une personne.
Seulement, cette caméra subjective est, dans le cinéma que nous connaissons, utilisée le plus souvent pour des effets de mystère et de terreur. Ce qui s'avance avec son regard, c'est le tueur, la bête, le monstre (on sait l'emploi merveilleux que Jerry Lewis a fait de ce cliché dans The Nutty Professor).
Au contraire, chez Ruiz, non seulement les gens qui répondent à ce regard et qui s'adressent à N. n'ont pas peur de lui, mais ils le regardent même de haut, moqueurs et légérement apitoyés. Il semble qu'être possesseur d'un regard de caméra subjective, soit ici, contrairement à l'habitude, une bien triste condition, celle de l'exclu du Bardo, de celui qui erre, et dont le voyeurisme, ainsi que la capacité de se déplacer à volonté (sauf quand il est piégé par un visage) sont par ceux qui en sont l'objet, asssociés inévitablement à l'impuissance du mort.
Extrait :
C'est un film fait entièrement avec des chutes des essais pellicule. C'est avec les restes de chaque bobine que je peux tourner Le Borgne. Il y a des gens à la télé qui récupèrent ces chutes pour moi. Auparavant elles étaient utilisées pour des films militants mais comme elles ne servent plus à cela, j'en profite pour mon film.
Cahiers du cinéma 345 1983
Un Bardo-film
Michel Chion