Le Cinéma de Raoul Ruiz
Klimt
Une fantaisie viennoise à la manière de Schnitzler
long métrage fiction 35mm Autriche, France, Allemagne, Grande-Bretagne (2005)
Date de sortie : 26 avril 2006 2h07min.
Réalisé par : Raoul Ruiz
Avec : John Malkovich, Veronica Ferres, Saffron Burrows, Stephen Dillane, Paul Hilton, Sandra Ceccarelli, Karl Fischer, Irina Wanka, Antje Charlotte Sieglin, Nikolai Kinski, Joachim Bißmeier¹, Peter Appiano, Hevesi Gunther Gillian, Alexander Strobele, Dennis Petkovic¹, Annemarie Düringer, Marion Mitterhammer, Nicole Beutler¹, Miguel Herz-Kestranek, Aglaia Szyszkowitz, Alexandra Hilverth¹, Miriam Heard , Rose-Lise Bonin, Martin Brambach, Julie Bräuning, Georg Friedrich, Ariella Hirshfeld, Erwin Leder.
Synopsis : Paris, 1900. Klimt est fêté à l'exposition universelle pendant qu'il est condamné à Vienne comme provocateur. Il vit sa vie comme il la peint, ses modèles sont ses muses. Klimt est en avance sur son temps. Ses relations passionnées avec les femmes et sa quête éternelle de Perfection et d'Amour se reflètent dans toutes ses oeuvres. La controverse atteint son comble lorsque que Klimt détourne ses allégories "scandaleuses" et les rachète.
Scénario : Raoul Ruiz, Herbert Vesely
Montage : Valéria Sarmiento, Béatrice Clérico
Inspiré d'Arthur Schnitzler
Production : Epo-Film, Film-Line, Lunar Films, Gémini Films, Institut Autrichien du Film, Beta Film Gmbh, CNC, Degeto Film, Filmstiftung Nordrhein-Westfalen, Invicta Capital Ltd., Österreichischer Rundfunk (ORF)
Directeur de la production : Paulo Branco, Matthew Justice, Dieter Limbek, Arno Ortmair, Dieter Pochlatko, Andreas Schmid, Ira Zloczower
Image : Ricardo Aronovich
Image : Ricardo Aronovich
Son : Brendan Donnison, Simon Gershon, Dan Johnson, John Lewis, Ben Meechan, James Perry, Michael Spencer, Lauren Ana Walker
Musique : Jorge Arriagada
1er assistant : Marijan David Vajda
Costumes : Birgit Hutter
Décoration : Georg Resetschnig
Lieu de tournage : Vienne, Cologne
Distribution : Gemini Films
Visa d'exploitation : 109899
Prix, Festivals : Berlin 2006, Rotterdam 2006
Une fantaisie « à la manière » de Schnitzler.
Dossier de presse Avril 2006, Note d'intention de Raoul Ruiz
Raoul Ruiz (avec la collaboration posthume de K. Kraus)
En écrivant les lignes qui vont suivre, je me suis senti comme un médium de Karl Kraus à qui j’ai demandé conseil par le truchement d’un rêve lors d’une sieste.
C’est donc à lui et non à moi-même (homme plutôt calme) à qui il faut imputer une certaine insolence.
Il ne faut surtout pas voir dans ce film une biographie filmée du peintre Gustav Klimt (ce qu’on appelle de nos jours un « biopic »). Il s’agit bien d’une fantaisie, ou, si vous préférez, d’une fantasmagorie, d’une fresque de personnages réels et imaginaires qui tournent autour d’un seul point : le peintre Klimt. On peut même dire que c’est lui la caméra. Donc, d’une certaine manière, on verra les images du film comme si c’était Klimt lui-même qui les voyait. Ou plutôt qui les rêvait. Car ce film sera une rêverie : exubérance de couleurs, distorsion de l’espace, extrême complexité des mouvements de caméra. Il serait trop long d’expliciter les procédés que je compte utiliser pour mettre en scène cette époque, une des plus riches, des plus contradictoires, des plus inquiétantes de l’histoire de l’humanité.
J’ai bien dit rêverie. Peut-être serait-il plus juste de parler de « roman rêvé », de « traum novelle » : le film s’appelle « une fantaisie « à la manière » de Schnitzler ». Si j’ai voulu mettre l’accent sur le nom de l’écrivain – peut-être le plus viennois, mais aussi un des plus universels que Vienne a produit – c’est parce que la structure narrative en forme de cercle que j’ai choisie pour raconter les événements du film doit beaucoup à Schnitzler. Le mélange du réel et du rêve, du quotidien et de la folie, les jeux de miroirs, de manège, de carrousel (mais Schnitzler racontait-il des histoires ou des rêves ?) ont dérouté les lecteurs du début du vingtième siècle et – paraît-il – déroutent encore certains lecteurs du scénario que je propose. Ce n’est quelque part que trop normal. Nous vivons une nouvelle « Grande Epoque » (l’expression est de Karl Kraus), c’est-à-dire une époque faite de « certitudes », donc d’affirmations mensongères. On se dit : « ceci est un film », « ceci est une histoire », « ceci ne l’est pas parce que ce n’est pas conforme aux normes ». Mais ces normes qui servent à rendre comparables tous les projets, nous viennent d’Hollywood. C’est là-bas qu’on a formaté, uniformisé les différents systèmes de narration autour d’une théorie qu’on appelle « des trois actes » (ce fut par ailleurs ici, en Europe, qu’Ibsen, épaulé par B. Shaw, la rendit explicite au début du vingtième siècle). De nos jours, en Europe, les nombreux conseillers auliques des différents cours d’audiovisuel veulent à tout prix se démarquer du cinéma hollywoodien. On a même utilisé le mot « combattre ». Pourtant, croyant bien faire, ils imitent avec, il faut le dire, un manque de succès total, les modèles narratifs mis au point « là-bas », dans ce territoire honnit.
Mais assez de complaintes et voyons de plus prêt en quoi ce film se démarque des projets « biopic ». Tout d’abord, je dirais que par l’utilisation des procédés qui accentuent l’impression permanente de chose rêvée, je souhaitais que le spectateur puisse avoir l’impression de rêver le film. On pourra toujours se dire : « tout ça ce sont de belles paroles, mais que veulent-elles dire au juste ? » Et bien, quand on voit une projection cinématographique, on perçoit la juxtaposition d’images fixes séparées à intervalles réguliers par, disons, des « images noires ». Ce n’est pas sans conséquence dans la perception du film. Certains neurologues spécialistes de ce qu’on appelle « le cerveau rêvant » (Hobson, E. Vivaldi, mais aussi M. Jouvet) sont formels : les films, on les rêve ! C’est-à-dire que, derrière un réalisme apparent, il existe une couche d’images fourmillantes produites par le cerveau du spectateur qui imprègnent les images les plus réalistes d’une aura d’irréalité. La plupart des films ne se servent pas de ce cadeau du cerveau. Mais, quelques-uns pourtant, très peu nombreux, explorent ces possibilités. Allan Hobson prétend qu’il n’y en a qu’un seul : Fellini. J’ai la prétention de me compter parmi ces explorateurs.
Pour y arriver, il faut se servir de techniques qui remontent au « théâtre des miroirs » du 17ème siècle, aux fêtes foraines, aux machines conçues par Méliès. Cela consiste plus ou moins à provoquer une impression d’incertitude face à ce que l’on voit : l’espace se modifie en permanence. Cela peut s’expliquer par le déplacement d’objets, de murs, par le changement constant des sources de lumière et par le jeu chorégraphique des comédiens, par la fragmentation de l’action, par l’exclusion ou le déplacement des points narratifs et de que l’on appelle « le but du comédien » dans telle ou telle scène. L’énumération de tous ces procédés serait trop longue. Dans mon film Le temps retrouvé, j’en ai compté une soixantaine. Dans KLIMT, on devrait en trouver le double.
Cependant, l’aspect général du film devrait être assez familier, afin que chacun puisse se dire : « ce film, je l’ai déjà vu quelque part », ou bien, « je l’ai déjà imaginé », ou même, « je l’ai déjà dansé ». En effet, la forme générale du film sera celle d’une valse. Mon modèle est « La Valse », le poème symphonique de Ravel : un début lugubre, puis une accélération jusqu’au paroxysme et un arrêt inattendu, brutal. Voilà pour la forme.
Maintenant, deux mots en ce qui concerne la narration. Voici donc un film qu’imagine le peintre Klimt au moment de sa mort. Il est en train de se remémorer sa vie. En particulier un épisode de sa vie que tout le monde ignore : ses amours avec la danseuse et « demie-mondaine » Cléo de Mérode. Le Klimt que l’on verra dans le film n’est pas plus réel que le Shakespeare du film Shakespeare in Love, ni le Picasso du conte de Ray Bradbury ou Melachton dans la fiction de Borges, ni même le Klimt que Schnitzler a imaginé dans sa pièce Comédie de séduction. Quand je dis « réel », je fais un méchant amalgame : réel et historique. L’homme historique (comme le prouve B. Benassar) est aussi éloigné du même homme au quotidien que de sa légende. Je suis bien placé pour le dire : ce que je trouve de moi-même sur Internet est erroné. Je dis bien erroné, c’est-à-dire même pas faux.
Donc, ce Klimt imaginé à partir de faits réels. Lors d’une visite à Paris, il fait la rencontre d’une comédienne qui se présente comme « la fausse Cléo de Mérode », laquelle devrait conduire Klimt jusqu’à « la vraie Cléo » (il a vu auparavant cette dernière lors d’une projection de cinéma). A partir du moment de cette rencontre, et un peu à la manière de Judex, le feuilleton de Feuillade, plusieurs épisodes vont se tisser autour de ce nœud central : les amours de cette femme unique (mais qui se dédouble) et du peintre Klimt. Amours faits essentiellement de rendez-vous manqués. En arrière-plan, prenant parfois beaucoup d’importance, l’Empire moribond. Il sera beaucoup question de temps : temps historique, mais aussi temps-durée, temps-dimension. On dit souvent qu’un film est un contrat qu’on passe avec le spectateur. Celui-ci nous donne une heure et demie de sa vie contre une histoire. Une histoire ? Dans ce film, je dirais plutôt que le spectateur est convié à un voyage dans « la région où naissent les histoires ».
S’il fallait résumer le film, je ne dirais qu’un seul mot : OIGNON. Des feuilles très fines, des pellicules qui forment une figure sphérique. Cet oignon relève nos salades mentales, et surtout, je l’espère, fait pleurer. Encore un mot sur le contenu. Le bienheureux Inhalt qui inquiète tant les logothètes de l’Europe militante. Ce film se passe donc à une époque charnière (excuser le jeu de mots malheureusement pertinent). Période que l’on peut encore définir d’un seul terme : démolition. Une époque où le monde est le théâtre d’une destruction de masse (encore Karl Kraus). Dans ce contexte, un Jederman, un homme comme les autres mais pas forcément « commun », cherche tout simplement à être « lui-même ». Et, pour ce faire, il s’échappe. Pour accomplir son évasion, il utilise tous les moyens possibles : aventures feuilletonesques, mais aussi, paradoxalement, la normalité familiale. Hélas, les aventures le mènent à la routine et la vie de famille à la folie.
Les quatre chevaliers de l’Apocalypse ne sont pas loin : la Guerre est aux portes de Vienne après l’annexion de La Serbie. La famine vient avec, la peste est là depuis quelques temps, ainsi que la syphilis, la tuberculose. Et la mort ? On a tendance à croire que la mort est le chevalier surnuméraire car il est implicite dans les trois autres. Mais non : le chevalier qu’on appelle « la mort » est le vertige. Il tourne autour des personnages du film. Il (elle) est une valse. On danse, on danse, on tourne en rond. C’est la ronde et c’est la valse. On pourra reprocher à ce film ce que l’on reprochait en son temps aux œuvres de Klimt : de privilégier le détail par rapport à l’ensemble, de préférer l’ornement à l’unité expressive. Mais on ne saurait nier que cela fait écho à l’époque représentée, c’est-à-dire un moment où l’humanité s’est empêtrée dans les détails (et là où le diable a trouvé sa résidence).
Ici, il sera beaucoup question de beauté, de joie, de drôlerie et, bien entendu, de mort.
J’espère qu’on retrouvera dans ce film à venir l’atmosphère de la fin d’une époque et de la naissance d’une non-époque.
« Le progrès est ingénieux. Grâce à lui la vie ne sera plus une prison mais une exécution à l’électricité ». On a d’ailleurs parfois nommé le cinéma « théâtre électrique ».
Oui, dans ce film, tout se meurt joyeusement.
« Seule la mort ne meurt pas » (dixit Kraus pour la dernière fois).
« Le progrès est ingénieux. Grâce à lui la vie ne sera plus une prison mais une exécution à l’électricité ». On a d’ailleurs parfois nommé le cinéma « théâtre électrique ».
Oui, dans ce film, tout se meurt joyeusement.
« Seule la mort ne meurt pas » (dixit Kraus pour la dernière fois).
Entretien entre Raoul Ruiz et le commissaire de l'exposition Vienne 1900 au Grand Palais
Grand Palais - Avril 2006
Serge Lemoine
Serge Lemoine : Qu'est ce qui vous a intéressé dans le personnage de Klimt et dans cette période au tournant du 20ème siècle à Vienne ?
Raoul Ruiz : Personnellement, Klimt m'intéressait d'abord pour un thème qui me préoccupe depuis longtemps : c'était l'opportunité de faire quelque chose autour du statut de l'artiste. Klimt, c'est un cas très particulier. D'un côté il passe de la peinture académique à ce qui est déjà de l'impressionnisme "à la Klimt ", très vigoureux, en passant par l'assimilation du style japonisant, du style byzantin. Et puis de l'autre côté, j'étais intéressé par le statut d'un artiste comme lui. Economiquement parlant, il commence comme un artisan, il débute en faisant des tableaux à partir de photos, un métier que j'ai connu au Chili : On les appelle Moneros, puis après il devient artiste de cour, à la cour de Roumanie. J'ai vu le tableau qu'il y a réalisé... Il y a fait de la décoration. Il a aussi fait une salle de cinéma, la première je crois de l'histoire du monde. C'était une petite salle de théâtre que Klimt a décoré, en 1900 je crois, juste après l'invention du cinéma. Et puis d'artiste de cour, il devient artiste d'état au service donc de ce que Balzac appelait les "maudites commissions ", financées par l'argent public jusqu'à la crise, la rupture avec l'Académie, la création de la Sécession, ce mouvement d'artistes. Après, il devient un artiste pour les familles riches et finalement un artiste qui peint comme n'importe quel artiste français de l'époque, pour lui-même, sauf que tous ces aspects sont simultanés. Il est déjà en quelque sorte "expérimental ", et dans les tableaux les plus poussés il reste quand même un fond de peinture académique. Tout cela va ensemble. Le dernier aspect de Klimt qui m'intéressait c'est qu'il ne participe pas aux avants gardes de l'époque, il n'est pas contre, il est toujours entre deux eaux. Il parait qu'il a mal vécu une période, autour de ses 40 ans, quand il a été pour la première fois attaqué par certains jeunes. Pour des raisons personnelles, évidemment je ne me compare pas à Klimt, mais ma situation quelque part.... je la ressens un peu comme cela : je ne suis pas un cinéaste d'avant garde, loin de là, je ne suis pas non plus un cinéaste académique, et cela me crée des problèmes. Alors là j'ai sympathisé naturellement avec Klimt.
Serge Lemoine : J'ai fait cette exposition pour montrer celui que je considère comme un des plus grands artistes de cette époque, d'autant plus intéressant qu'il n'était pas à Paris... c'est Gustav Klimt, j'ai voulu que l'on regarde l'oeuvre de Klimt de la même manière que l'oeuvre de Cézanne et non pas parce que Klimt est un viennois et qu'il aurait exprimé tous les sentiments de l'époque, ceux de "la fin de siècle ", les idées de Freud, la décadence des moeurs, l'intuition de l'effondrement de l'Empire, etc... En revanche, comme l'a très bien rappelé Raoul Ruiz, ce qui est extraordinaire dans l'oeuvre de Klimt c'est la synthèse justement qui est faite de différentes esthétiques, de différentes influences. On peut discuter du mot "influence " évidemment, mais ce qui m'a intéressé, c'est l'idée de la continuité dans son évolution, il ne renie jamais ce qu'il a fait auparavant, il l'assimile, il le transforme. Ce qui donne une accumulation extraordinaire. Klimt aujourd'hui est devenu pour toutes sortes de bonnes et de mauvaises raisons un artiste à la mode, dont tout le monde parle, qui correspond à quelque chose dans la sensibilité d'aujourd'hui, j'ai voulu que l'on comprenne en quoi Klimt est un grand artiste. Et à partir de là on comprend aussi pourquoi il a joué un tel rôle dans son pays. On voit l'influence qu'il a pu avoir sur Schiele, sur Kokoschka, etc... et sur l'avant garde au XXème siècle. Klimt n'est pas isolé, et son art ne participe pas de "l'apocalypse joyeuse ", il ne préfigure pas la fin du monde, il ne symbolise pas la fin de siècle. J'ai voulu montrer Klimt comme on le fait de Monet. On ne dit pas de Monet que, parce qu'il vivait à Paris sous le Second empire qu'il représente la société du Second empire, pourquoi le dirait-on de Klimt ?
Raoul Ruiz : De toute façon Klimt est ce qu'il est, il représente beaucoup de choses, en tant qu'artiste lui-même, son côte viennois. C'est de Vienne que la matière du film est sortie, c'est pour cela que je l'ai associé à Schnitzler, qui avait utilisé Klimt comme modèle dans "la comédie de séduction ". Klimt est quelqu'un qui est mondain dans le sens où il va beaucoup dans les bals costumés par exemple, qu'il dessine des costumes avec Emilie Flöge, son amie. Il fréquente les riches, et en même temps il se fait un devoir de parler d'une manière assez grossière, dans un dialecte prolétarien et de ne jamais renier ses origines. Il vit avec sa mère par exemple, mais il mène une vie de libertin célibataire. Bon fils qui s'occupe de sa mère la nuit, et libertin le jour dans son atelier avec des enfants partout, mais qui fréquente les ministres... Ca c'est un aspect premier. L'autre aspect, c'est l'aspect cinématographique de Klimt. Il peignait, surtout les paysages, avec un télescope, ça on le sait. Dans un documentaire j'ai vu quelque chose d'assez étonnant : quelqu'un a placé la caméra là où se trouvait le télescope. On a mis le même cadre et tout était en place. Il ne manquait que les poules. Mais tout y était.... Dans un tableau qu'il peignait à peu près à un kilomètre de distance... pour chercher cet espèce d'aplatissement qui le fascinait beaucoup, qu'il avait appris à apprécier dans la peinture, surtout byzantine je crois. Et alors je disais à quelqu'un : "mais quelque part on pourrait dire que c'est de la peinture impressionniste mais avec une discipline militaire ". Toutes les fleurs sont encore là. Elles poussent. Elles n'ont pas bougé. Et alors c'est l'avantage dans mon cas. C'est qu'au cinéma on peut faire du Klimt mais en mouvement. C'est-à-dire on peut mettre des éléments au fond, (il y a trois ou quatre moments comme cela dans le film) et on fait bouger le fond, s'approcher vers la caméra, et on voit le processus d'aplatissement. Et ça, on peut dire que c'est faire du Klimt dans le film sur Klimt. Mais c'est... une vraie fascination, une émotion cinématographique... cette apparition, cet effet d'aplatissement... voilà. Et que sait-on de la vie de Klimt au quotidien ?
SL : Klimt, très vite n'a pas eu de problèmes pour vivre. Il avait l'aisance que lui donnait le succès qu'il a rencontré, les commandes publiques qu'il a reçues, et quand les choses ont évolué le relais des familles riches pour lesquelles il faisait des portraits, qu'il faisait payer très cher. Klimt faisait un portrait par an, toujours de commande et d'une personne très riche. Donc on trouve une quinzaine de grands portraits dans toute la vie de Klimt.
RR : Il y a un aspect que j'aime bien en lui, c'est la disponibilité artistique. Par exemple il détestait Whistler, parce qu'il n'avait jamais vu un tableau de Whistler, il n'avait vu que des reproductions, des reproductions photographiques, et le jour où il voit un tableau de Whistler, il s'approche, il voit la peinture même, la beauté de la peinture de Whistler, et il se met à faire du Whistler. Il est déjà formé, il a déjà son style, comme on dit, mais il peut changer de style. Il ne lui passe pas par la tête que c'est choquant de changer de style. Quelles sont les relations entre les différents peintres, Schiele? Klimt? Kokoschka ?
SL : Klimt vient de plus loin, il commence dans les années 70, n'est pas du tout de la même génération. Schiele est né en 1890, au moment où Klimt est déjà très célèbre. Il entame la seconde partie de sa carrière. Alors que Schiele ne commence à devenir actif qu'en 1909/1910. Les premiers tableaux très importants de Schiele, c'est 1910... Or à cette date Klimt est au sommet de sa gloire. Il a été un protecteur pour des jeunes artistes... Schiele se place complètement dans sa continuité.
RR : De Kokoschka aussi, qu'il a très peu vu.
SL : Non, mais il l'a soutenu...
RR : Oui, il lui envoyait des chèques, pour être clair.
SL : Il l'a effectivement soutenu. Dans l'art de Klimt se trouvent de nombreux points ; j'ai mis l'accent sur le côté abstraction, construction, géométrie et décoration, mais il y a tout son côté expressionniste, tellement présent dans la frise Beethoven de la Sécession : tous ces monstres, les furies sont des figures effrayantes de même que les tableaux où il mélange les figures féminines, à d'autres éléments et les assimile à des serpents qui nagent dans l'eau. Le côté expressionniste est très présent chez Klimt. On voit bien comment Kokoschka, et Schiele ont été imprégnés par cette ambiance, qu'ils ont développée en l'exagérant. Je pense que Schiele est ce qu'on appelle un artiste maniériste, au sens où il prend une caractéristique particulière et la transforme en l'exagérant : le côté "trait "que l'on a chez Klimt, stylisé, se retrouve chez Schiele, encore plus accentué. Le côté aplat, vous l'avez chez l'un et vous le trouvez chez l'autre, le côté chaotique mais en même temps très rythmé, vous l'avez chez Klimt, vous le retrouvez chez Kokoschka. C'est cela qu'il est intéressant d'essayer de comprendre : de voir l'emprise que Klimt a eu sur tous les jeunes artistes à Vienne à ce moment là. Vienne, c'est l'Autriche, c'est l'Empire où il y a des gens qui viennent d'un peu partout.
Pour revenir à Schnitzler par exemple, qu'est ce qui vous a donné envie de faire cette " Fantaisie viennoise à a manière de Schnitzler " ?
RR : Pour moi c'est la manière de raconter les choses. La construction dramatique chez Schnitzler est particulière. Dans une histoire, Il y a ce qu'on appelle le point narratif. Dans la construction dramatique généralement, l'histoire va dans une direction et on n'en bouge pas. Qui est l'assassin, qui a fait ceci, qui va gagner ...voilà le point narratif. Schnitzler, lui, systématiquement ou presque, change de point narratif au dernier moment ou alors, il le déplace. Il réussit à focaliser l'histoire et une fois qu'il sent que tout le monde est intéressé, il change ou il interrompt l'histoire, c'est fini. Pourquoi est-il si important de travailler avec des points mobiles, ou des points narratifs mobiles ? C'est que ça permet de se désintéresser cycliquement à l'intérieur d'un film, de se désintéresser de l'histoire et de s'intéresser un peu plus à ce qu'on est en train de voir, derrière l'histoire, à l'image, au son, à tout ce qui fait un film intéressant. C'est la focalisation, c'est le mal moderne du cinéma narratif à l'américaine, c'est qu'on se focalise tellement, on se focalise au même niveau qu'un match de foot, on ne finit par s'intéresser qu'aux buts... Et le fait que Schinitzer soit à la fois viennois et contemporain de Klimt a-t-il joué dans votre décision ou alors c'était seulement du à sa manière de raconter les histoires ?
RR : Oui, les deux choses évidemment. Il y a une structure que j'aime beaucoup que j'ai utilisée pour d'autres films c'est la ronde vous savez : A rencontre B, B rencontre C et C rencontre etc... et à la fin, le dernier rencontre A.
Le film prend appui sur une des expositions de la sécession avec notamment les peintures aujourd'hui disparues de Klimt. Est-ce que vous pouvez nous raconter un peu l'histoire de ces peintures, qui ont brûlé il me semble ? SL : Elles ont été détruites en 1945 dans les bombardements de la guerre. C'est très intéressant de voir l'épisode des peintures de l'Université qui correspond à un moment tout à fait charnière de sa carrière, vis à vis de l'opinion publique,et c'est aussi à ce moment que Klimt crée la Sécession avec plusieurs autres artistes parce qu'il n'est plus d'accord avec le système institutionnel de son pays. Les tableaux qu'il présente en avant première et qu'il avait reçus en commande pour l'université de Vienne sont faits d'après des thèmes qui lui ont été imposés. Ces derniers sont jugés comme étant à la fois indécents et choquants quant à leur contenu et leur style, et ne répondant pas au programme.
RR : Mais c'est unanime, l'avant-garde aussi est contre.
SL : ... et dont on critique également le style. On n'est pas d'accord avec le contenu, le sujet, tel que Klimt l'a traité et non plus avec la forme. L'aspect stylisé, ces parties plus ou moins abstraites, le côté onirique et bien sûr les symboles. La réaction est catastrophique. On lui demande de revoir sa copie, changer un certain nombre de choses, parce qu'on trouve que c'est choquant, c'est une critique de fond, et puis on lui demande aussi de revoir le style parce qu'on trouve aussi que c'est trop abstrait. Il refuse, et il rend l'argent qu'il avait reçu. Les tableaux seront achetés par des collectionneurs... Klimt les présentera régulièrement ensuite dans des salons, à la Sécession viennoise à chaque fois qu' il va faire une grande exposition notamment à l'étranger.
Pourquoi avoir choisi de traiter de cette période de la vie de Klimt ?
RR : Evidemment ça marque la rupture avec l'Académie, surtout la rupture avec l'état, avec les commissions d'état. Il ne faut pas oublier qu'à deux ans près, Klimt est refusé comme professeur à l'école des beaux arts, et Hitler comme élève. Malheureusement c'est pas la même année, là ça aurait été magique...pas au même moment, mais à deux ans près.
SL : L'épisode de l'université est évidemment tout à fait extraordinaire, parce qu'en plus s'y joint le panache....(rires)...Mais ce qui prouve aussi qu'il avait les moyens de refuser... Il rembourse l'argent et comme Raoul Ruiz l'a rappelé, il n'aura plus de commande officielle, ce qui ne l'empêchera pas de faire la frise Beethoven, sa dernière peinture monumentale, dans laquelle il résume tout, et invente une sorte de mélodie plastique, de mélodie dans l'espace avec son rythme, sa cadence, ses temps forts, ses rythmes. Il termine avec le décor du palais Stoclet, à Bruxelles, construit par Joseph Hoffman...
Raoul Ruiz, Réalisateur de Klimt
monsieurcinema.com 26 avril 2006
Olivier Pélisson
Artisan enchanteur, Raoul Ruiz consacre son dernier opus au peintre Klimt. Une fantasmagorie viennoise, comme il la décrit, où la figure de style est le cercle, symbole de la valse et de « La Ronde » de Schnitzler. Conversation avec un cinéaste toujours curieux, en pleine création dans son Chili natal.
Ce film sur Klimt est-il un désir ancien ou une commande ?
Il y a deux trois ans, trois producteurs autrichiens et allemands m'ont proposé un scénario qui aurait du être fait par un autre réalisateur, dont le nom m'échappe, et qui est mort. Klimt est un personnage qui m'a toujours beaucoup intéressé, entouré d'écrivains, de musiciens, dans une époque et une culture pleines de mystères, et que je ne connais pas. Cela m'intéressait de voir ce que c'était devenu. J'ai juste demandé d'écrire un nouveau scénario, dont le sujet serait la vie de Klimt, car le premier était très descriptif sur ses derniers moments. Il était construit sur les normes narratives à l'américaine, c'est-à-dire Klimt artiste solitaire contre l'incompréhension des méchants bureaucrates. Or on sait que les rapports entre les artistes et l'état sont beaucoup plus complexes. J'ai eu l'autorisation de réécrire et c'est devenu petit à petit un autre film. Il était question de Klimt, mais aussi d'une certaine manière de voir les choses, appelons-là viennoise, que je connaissais mieux, car je me balade beaucoup dans toute la littérature. A la manière de raconter de Schnitzler, auteur de « La Ronde », et de cette mode autrichienne et allemande où les histoires sont comme des fantaisies, favorisant les éléments érotiques et poétiques. Cette commande est devenu quelque chose auquel je me suis vraiment attaché.
Comment avez-vous travaillé l'image avec Ricardo Aronovich ?
De la même manière que pour LE TEMPS RETROUVE. C'était presque comme un travail de dialogues, il fallait rendre de manière indirecte la transition de l'époque entre la lumière aux chandelles, au gaz, et les prémisses de l'électricité à Vienne. Pour rendre compte de cette balade de lumières, Ricardo a mis au point un système assez particulier. Il éclaire comme au théâtre, comme un éclairage de studio, ce qui parfois me force à faire des plans spécifiques pour ne pas faire oublier qu'il y a un plafond. Il éclaire en haut avec des fils faits en papier transparents, et il distribue les lumières avec une colorimétrie particulière. En général, on le voit dans les passages dominés par des bleus et des jaunes très intenses. D'un point de vue pratique, ce procédé se prête spécialement aux plans longs, compliqués, et aux plans séquences. L'installation est lente mais une fois que c'est fait, un changement de plan ne prend pas plus de quinze minutes, ce qui est très rapide. En principe, tous les comédiens sont bien éclairés où qu'ils se trouvent, et ce n'est pas une lumière constante. Cette technique était aussi très pratique, pour ce film dont le rythme est la valse, avec beaucoup de mouvements circulaires.
Par votre imaginaire visionnaire, vous êtes un héritier de Fellini. Peu de cinéastes jouent autant avec le cinéma...
Je ne suis pas le mieux placé pour le dire, mais c'est vrai que les systèmes de production, tels qu'ils sont en train de devenir, entraînent trop d'« humiliations ». Quand je travaille sur des productions américaines, il y a une base morale puritaine très forte qui empêche souvent le jeu. Et pourtant, à une époque, les films étaient très « jouissifs » aux Etats-Unis. Ils le sont encore un peu, mais on voit que tout est trop prémédité. Je crois que j'ai entendu plus de trente fois sur un plateau américain l'expression « no pain, no gain » : « si vous ne souffrez pas, vous n'allez pas gagner ». Le système du contrôle multiple est le grand problème de la philosophie. A contrôle B, qui est contrôlé par C, qui est contrôlé par D, etc. On contrôle tout le monde, et fatalement il y a la panique et les accusations : « Hollywood is all panic and blame ». Pourtant, ce sont des gens qui peuvent apprécier un film. L'impression que j'ai, c'est que je suis unique dans le sens où je sais que c'est un jeu trop calculé.
Vous sentez-vous à part ?
Ce qui se passe au cinéma, c'est que même l'imprévisible a l'impression d'être prévisible, deviné, non pas par les jeux d'images, mais par la dictature du scénario bien structuré, où les choses sont préétablies. Rien n'est laissé à la mise en scène, or elle est sacrée. C'est bien de commencer par créer une concentration sur le plateau, parce que ça consiste à donner beaucoup plus de participation à la totalité de l'équipe. Chacun à ses problèmes à résoudre, et se fait son film, comme s'il avait une totalité particulière à lui. Un comédien fait son film, l'autre comédien se fait le sien, la caméraman aussi, etc. Avec les équipes autrichiennes et allemandes, extrêmement techniques et précises, cela donne un effet ludique qui rend tout le monde de bonne humeur. Le cinéma est un art où le politique est très important, car rempli de diplomatie, de relations au pouvoir et autre.
Vous travaillez au Chili actuellement ?
Je suis concentré sur la tradition juive. Je monte une pièce de théâtre d'un écrivain juif chilien, où l'élément juif est vraiment très fort, mais justement ludique et dur à la fois. Un conte populaire autour d'une histoire de fantômes. Je suis culturellement voyageur, je m'intéresse à différentes cultures. Il y a des années, j'ai passé du temps à faire des films arabes et islamiques, ou en Chine, en jouant avec les cultures. Ils ne sont pas sortis en France mais m'ont beaucoup aidé. Tout cela me donne une raison de vivre : me promener, rentrer dans une culture, faire quelque chose avec, puis en sortir, et passer à autre chose. Ce projet de fantômes est financé en partie par le Musée d'Orsay, qui fait travailler quatre réalisateurs sur des films dont une scène se passe à Orsay. Les autres cinéastes sont Hou Hsiao-hsien, Olivier Assayas et Jim Jarmusch. Mais j'ai un autre projet en France pour cette année, un polar d'été intitulé Le sens de la nuit, d'après le roman de Nicolas Bréhal (édité chez Gallimard, ndlr).
monsieurcinema.com
monsieurcinema.com
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France Culture 26 avril 2006
Titre : Tout arrive
Thème : Klimt
Auteur : Antoine Guillot
Editeur : France Culture
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Films de Culte : http://archive.filmdeculte.com/film/film.php?id=1496
Klimt
Guillaume Massart
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DVD Klimt 2006
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Fiches du Cinéma 1822
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Galeries Nationales du Grand palais 2006
Entretien avec le commissaire de l'exposition Vienne 1900 au Grand Palais
Serge Lemoine
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L'Humanité 2006
Une vision du possible, tout en offrant l'aspect d'une fantaisie
Jean Roy
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Le Monde 2006
Fantasmagorie en spirale autour d'un exilé du réel
Jean-Luc Douin
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Libération 2005
Malkovich grimé en Klimt
Christian Fillitz
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Libération 0 2006
Klimt cousu d'or
Antoine de Baecque
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monsieurcinema.com 2006
Olivier Pélisson
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Positif 542 2006
Klimt
Guy Scarpetta
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Positif 542 2006
Entretien
Philippe Rouyer, Hubert Niogret
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Télérama 2937
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Zeuxis 17 2005
A propos de Klimt
Raoul Ruiz
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Zeuxis 22 2006
Klimt
Stéphanie Katz
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